Rencontre

Spike Groen
dépoussière la ruralité

Quand Spike Groen déambule dans les ruelles de Saint-Benoît-du-Sault, c’est vers lui que les regards bénédictins se tournent, à l’affût des dernières nouvelles qui concerneraient la vie politique agitée du village. Maire de Saint-Gilles depuis deux ans, l’un des plus jeunes élus de France a compris l’importance du rayonnement de la cité médiévale sur sa propre commune et s’investit pour tenter de la sauver d’un délabrement certain. 

Même s’il bénéficie du label Plus beaux villages de France, Saint-Benoît-du-Sault semble se mourir et la décrépitude de ses rues pittoresques et de ses commerces fait peine à voir. Si son atmosphère presque lynchéenne peut rendre pensifs les cinéphiles qui s’y perdent, elle n’est guère propice au dynamisme ou au retour de la vie. Les nombreuses boutiques fermées, les maisons abîmées et délaissées, les habitants déboussolés par les travaux de réfection de la digue et du pont qui s’éternisent, un étang emblématique désespérément sec, l’étrange patchwork faisant office de revêtement de route… Tout cela ferait un beau décor de cinéma expérimental mais rares sont les audacieux qui signeraient pour venir y vivre et y prospérer sérieusement. Le tableau pour la commune n’est pourtant pas si sombre lorsque l’on prend le temps de creuser ; la rénovation du bureau de poste et l’investissement important du collectif citoyen J’aime Saint-Benoît-du-Sault signalent un sursaut de vitalité. Mais pour le péquin de passage, le sentiment d’abandon et d’agonie de la cité médiévale est indiscutable.

La situation est loin d’être inédite en Berry. Des petits villages qui dépérissent, il en existe ici des dizaines. Le gâchis n’est cependant pas équivalent partout et Saint-Benoît-du-Sault aurait mérité une mise en valeur au moins identique à celle dont a bénéficié Gargilesse, le seul autre plus beau village de France de l’Indre.

Un pied à Saint-Benoît-du-Sault…

Pour parachever ce triste constat, à l’épidémie de démissions de conseillers municipaux de Saint-Benoît-du-Sault a succédé celle de son propre maire, Christian Brec, en novembre dernier. C’est dans ce contexte brouillon que Spike Groen vient de déposer les statuts de la nouvelle association qu’il préside, Le Label bénédictin, afin de « restaurer, rénover le patrimoine historique, public et privé de Saint-Benoît-du-Sault, promouvoir la culture, aider les personnes en difficulté, redynamiser le centre-bourg et préserver le label Plus beaux villages de France. »

« On espère avoir le soutien de la municipalité », annonce Spike qui souhaite apporter un appui aux commerces et entreprises bénédictins en parallèle des actions qui seront menées par la nouvelle équipe fraîchement élue.

... et un autre à Saint-Gilles

Cet engagement n’empêche pas Spike Groen de penser au futur de sa propre commune située à quelques kilomètres de là et à laquelle il est attaché depuis l’enfance. Né aux Pays-Bas, c’est à 8 ans qu’il s’est installé à Saint-Gilles : « Mes grands-parents y avaient une maison secondaire. J’ai fréquenté l’école de Roussines, où les élèves des petites sections étaient mélangés avec des CM2. C’était très différent des Pays-Bas, où il y avait des journées courtes et un bon niveau. » Ne parlant presque pas français, il redouble le CE2 mais saute le CM1. « Je trouvais déjà le niveau très bas, que le programme scolaire était vide. J’avais une préférence pour les dictées, l’apprentissage par cœur de poésies. Malheureusement, aujourd’hui, ce sont des disciplines laissées de côté, et pourtant, il y a une richesse culturelle en France qui s’y prête », déplore-t-il. Mais tout n’est pas à jeter ! Il nuance : « À la campagne, la nourriture servie au self est locale. Et c’est aussi une chance qu’il y ait peu d’élèves. »

Au lycée Rollinat d’Argenton-sur-Creuse, il s’engage dans une voie littéraire. Curieux de comprendre la nature humaine, il se « noie dans la philosophie » à travers les œuvres de Sartre, Schopenhauer et Camus notamment. Finalement déçu du système scolaire, et surtout têtu, il ne va pas jusqu’au bac et s’essaie au métier de charpentier couvreur. En 2018, il lance un projet de location de véhicules anciens mais la survenue de la crise sanitaire l’oblige à y renoncer.

La déception de la politique nationale

À l’époque peu intéressé par la politique, Spike Groen, encarté nulle part, n’avait « pas spécialement envie de [s]e présenter ». Mais lors de la foire de Saint-Gilles en 2018, il évoque ce sujet avec d’autres habitants. Quelques mois avant les élections municipales, il est de nouveau sollicité et choisit alors de se lancer. À 19 ans, il devient en 2020 le plus jeune maire de l’Indre.

Les querelles de chapelle et les mesquineries caractéristiques de la politique politicienne laissent froid Spike, qui adhère en 2021 au parti Les Républicains afin de figurer sur la liste de Nicolas Forissier au moment des élections régionales. Peu après, il hésite entre apporter son soutien à Jean Lassalle ou à Éric Zemmour pour la campagne présidentielle. C’est finalement ce dernier qu’il parraine et pour lequel il anime un comité de soutien : « Ce n’est pas le bord politique qui compte, mais le discours. […] Pour redresser un aussi grand pays qu’est la France, pourtant historiquement reconnue pour sa beauté et son excellence, j’ai pensé qu’il fallait quelque chose de bien plus strict pour rattraper le laxisme d’État actuel », justifie-t-il. Si les intimidations et menaces de mort reçues n’ont pas eu raison de son engagement, la déception du score électoral d’Éric Zemmour amène Spike, qui semble ne pas vouloir s’épuiser dans une carrière politique nationale, à passer à autre chose : « Je ne ferme pas la porte à la région ou au département, mais je préfère revenir à la vision d’Aristote sur la vie politique de la cité, donc de la commune. Il y a suffisamment de travail à Saint-Gilles ! […] Je peux avoir plus d’impact autour de chez nous en me focalisant sur les problèmes que l’on rencontre tous au quotidien. »

Du neuf pour Saint-Gilles

Comme tant d’autres communes rurales, le village de Saint-Gilles s’est lentement vidé de ses habitants et commerçants au cours du siècle dernier, et doit composer avec le vieillissement de sa population.

Certains projets pourraient voir prochainement le jour, comme l’élargissement des trottoirs du hameau d’Abloux, la plantation de nombreux arbres, la transformation du champ de foire « en petit pôle d’attractivité touristique et de loisirs » avec l’ouverture d’une guinguette et d’un café-épicerie. D’autres chantiers, s’inscrivant dans un renouveau profond de la ruralité, mais plus délicats à mettre en place, occupent aussi les réflexions de l’élu : « Nous souhaiterions remettre sur pied les anciennes forges d’Abloux, embaucher un ou deux forgerons pour fabriquer des armures et constituer une équipe de béhourd. Il y a beaucoup de demande », annonce-t-il. L’aménagement d’une maison de naissance est aussi un projet qu’il souhaiterait porter, pour « proposer un bâtiment calme, et éviter aux femmes l’accouchement industriel qui peut être un traumatisme pour certaines. » De quoi attirer de jeunes nouveaux venus qui feraient de leur installation à la campagne un choix idéologique.

Dans un registre plus personnel, il envisage de revaloriser l’œuvre d’Émile Vinchon, poète oublié ayant vécu à Saint-Gilles, à La Thébaïde. La demeure de l’écrivain, désormais propriété de Spike Groen et de sa mère, recèle encore les souvenirs du poète qui a laissé dans les lieux manuscrits et livres non coupés dont la découverte n’en finit pas d’émouvoir le nouveau propriétaire des lieux.

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