rencontre
BOURBIER à BONNEUIL
« Votre mail est directement parti dans les indésirables. […] Monsieur le maire ne souhaite pas s’exprimer à ce sujet », nous a-t-on aimablement indiqué en juin dernier au secrétariat de la mairie de Bonneuil, dans l’Indre. Souvent snobé, jamais vexé, Le Taiseux n’a pas été surpris de cet accueil et s’est donc contenté des confidences recueillies auprès des rescapés de l’équipe municipale.
Depuis les dernières élections communales, la vie politique de ce minuscule village – il comptait 74 habitants en 2020 – a été particulièrement chahutée. Fraîchement élu, le conseil n’avait pas tardé à s’étriper et à s’enliser dans un bourbier dont il n’est toujours pas sorti. Malgré son « passé d’autoritarisme » et sa réputation de « ne laisse[r] de place à personne », les conseillers avaient élu maire Robert Diez-Pommarès, un rôle dont personne ne voulait. « Personne n’était intéressé par le poste, nous n’avions pas envie de l’honorabilité du métier, ni de son assujettissement aux contraintes », précisent les survivants de ce naufrage (une conseillère a démissionné dès juillet 2021). Tous se sentaient protégés par un « code pénal qui empêcherait les dérives » et briderait l’édile. « Nous avions une règle : on s’engage tous. On respecte la majorité du groupe, on ne fait pas de blocage », poursuivent-ils.
La pomme à l’origine de la première discorde ne pesait pourtant pas bien lourd ; conseillers et maire se sont fâchés pour un pot de l’amitié. Robert Diez-Pommarès avait souhaité l’offrir à ses électeurs quand ses conseillers municipaux refusaient cette idée et parlaient même de « mafia »…
Peu à peu, le maire a semblé faire bande à part et s’est enfermé dans une gestion autocratique de sa commune. « Modification des heures de travail de la secrétaire », installation d’« un sapin [de Noël] coupé et minable au milieu de la place », choix de « décorations plus modernes », « refus d’associer les conseillers aux vœux de la municipalité », « menaces avec une pelle » étaient au menu de ce début de mandat haut en couleur, émaillé de noms d’oiseaux et de douces démonstrations d’aménité. À deux reprises, les algarades ont dégénéré et ont même frôlé la bagarre.
Un visage peu glorieux
De part et d’autre, des plaintes ont été déposées tout au long de ces trois années de pétrin ou chacun reste encore englué, campant sur ses principes, convaincu de la mauvaise foi de la partie adverse. Et pendant ce temps, les Bonneuillais assistent aux passes d’armes entre maire et conseillers et découvrent les dernières avancées de ce scandale démocratique dans les colonnes de la presse locale mois après mois.
La superfluité des conflits qui ont accouché de cette situation fascine et interroge à la fois. Les enjeux – arrosage, choix de décorations, achat de cuves, entretien des espaces verts – ne dépassent jamais la teneur de chicanes de voisinage. À travers ces menues querelles qui rameutent élus locaux et journalistes, le visage peu glorieux de la ruralité se dévoile. L’esprit cancanier, le peu d’intérêt pour les problématiques fondamentales de notre société, les joutes égotiques reflètent le vieillissement de nos territoires également confrontés au dépeuplement.
Car pour débloquer la machine, il suffirait que l’ensemble de l’équipe démissionne. Au lieu de ça, maire et conseillers sont ironiquement d’accord pour réclamer la dissolution de leur propre conseil au ministère de l’Intérieur.
Mille questions en suspens
Les conseillers municipaux s’interrogent sur la place et le rôle du maire. Ils évoquent cet « acte anti-démocratique qui fait que lorsqu’un maire est en opposition avec la totalité du conseil pendant des mois voire des années, il reste en place ce qui conduit au blocage complet ». Ils s’estiment « bafoués » et s’offusquent de ce qu’ils considèrent être un « déni de démocratie, un abus de pouvoir. […] À quoi sert un conseil municipal ? Comment les règles administratives peuvent-elles laisser en place un maire seul et en complète minorité depuis des années ? Comment les associations de maires peuvent-elles accepter en leur sein des situations aussi peu justes ? La solidarité devient corporatiste, donc peu honorable. […] Il est important de dénoncer le pouvoir absolu des maires par rapport au conseil municipal dans les petites communes. » Après tout, les simples conseillers sont eux aussi élus, sans jamais bénéficier de l’aura protectrice qui pare d’office les maires.
Le profil de ces derniers, et plus particulièrement ceux des communes rurales, toujours plus âgés, pose lui aussi question. La faute aux maigres indemnités versées aux édiles des petits villages ? Ces derniers sont-ils condamnés à être administrés par une majorité de retraités bénéficiant déjà d’un revenu et jouissant de tout leur temps libre ? Les populations rurales sont-elles vouées à subir les caprices de ceux qui détiennent une piètre portion de pouvoir ? Ne peuvent-elles exiger d’être représentées par des élus arborant un visage respectable et faisant montre de maturité ?
Seule certitude dans cet enchevêtrement de chamailleries : la gangrène qui grignote le tissu social de cette commune ne reculera pas avant longtemps et participera à ridiculiser un territoire déjà fragilisé et objet de railleries. ■