Le Berry fait peau neuve

Les Delage font
revivre Messant

C’est à un véritable voyage dans le passé que nous convie Le Petit musée de l’École de Crozant. Situé 10 chemin des Vingnes à Messant, un hameau d’Éguzon-Chantôme, ce foyer culturel a ouvert ses portes au public le 6 novembre dernier.

La vallée de la Creuse telle que nous la connaissons et la voyons aujourd’hui, n’a, hormis ses reliefs, pas grand-chose à voir avec les paysages qu’elle offrait il y a presque deux siècles. « Les peintres venaient ici pour oublier l’académisme et chercher le vrai. Ils peignaient avec leur âme », commente Jean-Pierre Delage au milieu d’une cinquantaine de toiles peintes par les paysagistes de l’École de Crozant. Les œuvres se partagent principalement entre des représentations de Fresselines, de Crozant et de Gargilesse, et notamment de la Sédelle, des ruines de la forteresse de Crozant ainsi que du confluent des deux Creuse. Toutes ont en commun d’être des instantanés d’une vallée versicolore et désormais disparue, offrant au regard des horizons dégagés. « Ce sont des anciennes vues, avec beaucoup de bruyères. La ruralité était très forte, les bergères amenaient les chèvres et les moutons dans les pâturages, ce qui donnait un paysage ouvert, très coloré », poursuit Jean-Pierre. Les admirateurs de George Sand pensant inscrire leurs pas dans ceux de l’écrivain, foulent en réalité des sentiers tout à fait différents et sont finalement loin de contempler les paysages qui se cachaient derrière ses envolées lyriques.

« Le patois aussi a complètement disparu », souligne Jean-Pierre Delage, né à Messant même (au 12, juste à côté du musée) et qui sait encore tenir une conversation en marchois (espace linguistique de transition entre la langue d’oc et la langue d’oïl). « Aujourd’hui, vue du ciel, la vallée de la Creuse est un champ de persil ! Il n’y avait pas d’arbres et avec la montée du lac, les ligneux ont envahi les flancs », achève-t-il.

En 1926, la mise en service du barrage d’Éguzon noie les bords de Creuse et un changement radical de paysage s’amorce ; une forêt monochrome et exubérante s’impose dans la vallée des peintres et rompt avec les courbes chatoyantes de la campagne d’antan.

Trois électrons libres
à l’origine du projet

Trois inclassables ont monté ce projet de musée, porté par la structure associative Savoirs au Terroir : Jean-Pierre et Suzanne Delage, ainsi que leur fille Sarah, présidente de l’association qui leur permet de gérer les entrées du musée et d’organiser des manifestations ponctuelles.

À 31 ans, Sarah Delage souhaite faire de ce lieu un « point de ralliement pour des personnes cherchant à la fois l’étincelle artistique et un lien avec les autres. Je ne voulais pas qu’il n’y ait que le côté ronflant de la culture. Le week-end, il sera possible de jouer à des jeux de société pour brasser les générations, comme la belote, le Cluedo, le Scrabble. Le four à pain traditionnel sera remis en service pour recréer du lien et que ceux qui le souhaitent viennent y cuire leur pain », explique-t-elle. S’ils parviennent à dénicher leur bonheur, les visiteurs peuvent aussi repartir avec un livre d’occasion restauré par Sarah.

Cette dernière, grande voyageuse qui « n’a pas grandi avec les gens d’ici mais qui aime le terroir », a suivi les cours de l’EHESS à Paris (École des hautes études en sciences sociales) avant d’obtenir un diplôme d’écrivain public. Auteur, conférencière, écrivain public et biographe, Sarah Delage évoque régulièrement la désobéissance civile, influencée par les travaux d’Henry David Thoreau, et s’intéresse tout particulièrement à l’éthique animale, l’évolution des pratiques alimentaires et les perceptions sensibles de l’animal, des sujets se trouvant au centre de ses ouvrages.

En 2019, elle achète les bâtiments situés 10 chemin des Vingnes, pour « valoriser le hameau délaissé voire inconnu des collectivités locales ».

Des lieux chargés d’histoires

« Indépendants dans ce qu'[ils] f[ont] », les Delage ont préféré financer eux-mêmes la restauration des lieux et la recherche des œuvres qui y sont exposées. « La ferme appartenait à Alphonsine Bourdier, une révélation culturelle pour moi. Elle était un pur produit de cette fin du XIXe siècle durant laquelle les Hussards de la République fondèrent les bases éducationnelles de toute une génération, bases qui forgèrent l’esprit de Résistance et permirent de surmonter les aléas de la Première Guerre mondiale. Elle était de facto une personne référente du village de Messant  », précise Jean-Pierre Delage. Ce dernier revendique avoir été influencé par l’indépendance d’esprit d’Alphonsine Bourdier qu’il découvrait au fil de leurs discussions lors des veillées d’hiver à la ferme. « C’était un lieu convivial, nous discutions de la vie politique de la commune. Aujourd’hui, ces échanges, remplacés par le cynisme et l’individualisme manquent terriblement […] La convivialité associée à la ruralité ont disparu avec l’arrivée d’une modernité ravageuse pour l’esprit des lieux », regrette-t-il. En son hommage, la salle abritant les toiles du musée porte le nom d’Alphonsine Bourdier.

Dans un bâtiment annexe, « une trentaine d’originaux de cartes géographiques anciennes du Limousin et du Berry, donnant un aperçu de la cartographie des lieux de l’Antiquité à nos jours » sont exposés dans la salle Clément Chéroux. Ce dernier, ancien combattant de la Première Guerre mondiale et ouvrier agricole d’Alphonsine Bourdier, a également influencé Jean-Pierre Delage qui se souvient encore de ce « travailleur acharné peu favorisé par la vie, d’une grande conscience professionnelle, qui se confiait beaucoup sur la guerre mais ne se plaignait jamais de sa condition. Alphonsine Bourdier et Clément Chéroux étaient des terriens, des gens simples que j’admirais et qui se contentaient de ce qu’ils avaient », ajoute-t-il.

Vent debout contre l’effondrement moral et culturel

Chacun des Delage mène un combat idéologique qui lui est cher et propre mais tous trois se rejoignent dans le diagnostic d’une société traversant une déliquescence globale.

« Le projet s’inscrit dans une ruralité abîmée. Rien qu’à Messant, nous étions entre 45 et 50 après la guerre. Aujourd’hui, nous ne sommes plus que 10. À Crozant, en 1900, il y avait 1 700 personnes, il y en a moins de 500 au dernier recensement. […] Ce triste constat est le lot de tous les hameaux du sud de l’Indre et du nord de la Creuse. Électoralement moins intéressants, les petits villages ont été délaissés et beaucoup d’argent a été dépensé dans des choses illusoires. Il n’y a presque plus de services publics, les médecins ne veulent plus s’installer, la poste est fermée le mercredi après-midi à Éguzon ! Mais ce n’est pas spécifique à notre commune, le pays est en faillite, les ploutocrates de l’Union Européenne mènent la danse et ne pensent qu’à réduire les déficits, donc à réduire les services publics », déplore Jean-Pierre Delage. Plus tard, il étoffe son propos : « Les choses disparaissent au lieu d’évoluer, personne ne remplace les personnes parties. Il n’y a plus de transmission du savoir ancestral. […] La diminution drastique de la population est directement corrélable avec la perte des valeurs de la ruralité. Là comme ailleurs, le creuset de la ruralité devient un désert dont on ne sait pas qui le remplira. C’est pour cela que nous avons voulu avec Sarah, apporter une brique pour combler ce vide inquiétant. »

Jean-Pierre Delage, qui croit, comme Simone Weil, que « l’enracinement est une des clefs pour une société stabilisée », est revenu définitivement dans son hameau natal après une carrière au sein du groupe Total et de nombreuses années passées à l’étranger (Gabon, Iran, Koweït, Lybie…). Ces éloignements géographiques n’ont pas eu raison de son attachement pour son village. Il continue aussi de s’y investir à travers l’association Les Fruits du Terroir qui protège la biodiversité de la vallée de la Clavière.

Des perspectives en vue pour le musée

Pas de « mois blanc » pour le musée ; le lieu est ouvert toute l’année et un terrain de pétanque sera mis à la disposition des visiteurs aux beaux jours. En 2023, conférences et journées thématiques apporteront à cet espace une nouvelle dimension, propice à la découverte de la nature, de l’artisanat mais aussi au développement de l’esprit critique. Jean-Pierre Delage a déjà établi une liste importante de projets pour les lieux : « La création du Petit musée avec l’exposition permanente de peintures et de cartes géographiques anciennes était la première partie d’un projet culturel et scientifique. Nous souhaiterions ensuite créer un petit centre qui permettrait de valoriser et de connaître la géologie régionale, et plus tard de développer un pôle de synthèse des données régionales de la numismatique, toponymie, linguistique, patronymie couplé aux résultats de l’archéologie. Ce serait un lieu d’échange et d’étude pour mieux cerner la question globale “ Qui sommes-nous, d’où venons-nous ? ” ainsi que l’histoire du peuplement des lieux. Enfin, nous espérons donner un développement au Chemin du Savoir, circuit pédagogique pour lequel  un partenariat avec le Conservatoire des Espaces Naturels du Centre-Val de Loire a été conclu par la mise en place de manifestations sportives et culturelles. Nous voulons que quelque chose se passe à Messant », conclut Jean-Pierre Delage. Il semblerait que ce soit chose faite désormais.


Musée ouvert :
De 14 heures à 17 heures tous les jours en novembre
Les week-ends et jours fériés de décembre à avril
et sur rendez-vous en semaine.

Tarifs :
Salle des œuvres peintes : 4 €
Salle des cartes : 2 €
Visite couplée : 5 €
Gratuit pour les moins de 18 ans.

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