paroles de taiseux

éoliennes et
dialogues de sourds

Je ne crois pas à l’objectivité journalistique ; ni à son application, ni même à son existence. Je crois cependant à l’honnêteté intellectuelle, à l’intégrité qui permettent de remettre en question les idées préconçues et d’affiner un raisonnement. Depuis la publication de la tribune de Bernard Evenot, je ne demandais qu’à être convaincue du bien-fondé de la prolifération des éoliennes sur notre territoire, même si, au pays des Avions renifleurs, je ne prétendrai pas être restée indifférente aux biais de confirmation. J’ai rapidement eu l’impression d’aboutir à un amas ahurissant d’arguments discréditant ces projets, et je n’ai pas compris pourquoi certains s’affichaient encore, souvent en toute bonne foi, en leur faveur. On a beau creuser en tous sens, deux plus deux égale toujours quatre, non ?

Néanmoins, j’ai souhaité représenter ici toutes les sensibilités. Les acteurs locaux d’horizons variés avec lesquels j’ai pu discuter, qu’ils soient élus ou investis au sein d’une structure associative, ont chacun livré leurs arguments. Cette partie de ping-pong pourrait faire ressembler cet article à un dialogue de sourds, car l’aveuglement idéologique adossé à un relativisme fallacieux répondent parfois à des faits concrets, étayés. Par exemple, « les chats tuent davantage d’oiseaux que les éoliennes », certes, mais le nombre d’oiseaux tués par les éoliennes ne fait que s’additionner à ce massacre félin, il ne s’y soustrait pas. De même que l’artificialisation des sols induite par l’implantation de ces aérogénérateurs s’ajoute à l’artificialisation des sols engendrée par la construction d’habitations, d’aéroports ou même d’EPR… Finalement, les élus et les nommés savent-ils vraiment de quoi il retourne ? Reste-t-il encore de la place dans notre société pour la rationalité ? Ceux qui décident écoutent-ils assez les techniciens de l’ombre qui creusent sérieusement ces questions ? Jugez donc sur pièces.

La situation dans l’Indre

Installée définitivement dans le Berry depuis 2016, dans la Vallée noire d’abord puis dans la Vallée de la Creuse, je ne me souvenais pas que l’implantation d’éoliennes était à l’époque le sujet de fâcheries qu’il est aujourd’hui. Et pour cause, seuls 58 mâts étaient en service au 1er mai 2016 dans le département de l’Indre. Au 1er juillet 2022, ce nombre s’élevait à 120. Le nombre de projets déposés est lui aussi croissant, et les zones concernées sont passées de 3 à 6 (sur 7) pour les projets en cours d’instruction. 

Cartes sur l’éolien dans l’Indre. (2016).
Cartes sur l’éolien dans l’Indre. (2022).

Habituée aux horizons parisiens bouchés, à la laideur des zones industrielles des villes périphériques, au bruit incessant, aux lumières qui jamais ne s’éteignent, j’étais venue chercher ici tout l’inverse de cet environnement hideux et agité. Depuis, les dizaines d’anciens citadins que j’ai pu rencontrer m’ont confié avoir eu le même attrait pour les paysages préservés du Berry, parfois presque bruts, pour ce silence propice à l’enracinement et à la réflexion. Personne ne s’y installe pour l’offre médicale ou pour signer un contrat de travail mirobolant. En premier lieu, c’est bien le cadre de vie qui motive les dégoûtés de la ville à s’implanter ici. Comment imaginer alors que des élus locaux scieraient la dernière branche sur laquelle est assise la région ? La volonté du gouvernement de foncer dans le mur toujours plus vite a beau être affichée, certains départements, comme l’Indre-et-Loire, la Loire ou encore la Dordogne ont réussi à épargner leurs terres jusqu’aujourd’hui.

Répartition des éoliennes en France en 2022.

En février 2020, Serge Descout, ancien Président du Département de l’Indre estimait déjà que le département avait « atteint son seuil maximum d’éoliennes ». Pourtant, les projets ne font que proliférer, et ceux qui sont rejetés refleurissent quelques mètres plus loin. Le projet des Portes de la Brenne, prévu sur les communes d’Argenton-sur-Creuse, Vigoux et Celon, a été enterré par le Conseil d’État le 28 septembre 2022, mais par arrêt du 11 avril 2023, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a délivré à la société Centrale Éolienne Les Sables l’autorisation environnementale d’exploiter un parc éolien sur les communes de Vigoux et Bazaiges.


Gil Avérous, maire de Châteauroux et vice-président du Département de l’Indre, ne remet pas en cause les décisions du gouvernement mais considère lui aussi que l’Indre est un territoire désormais saturé. «  L’Indre a fait plus que sa part au niveau régional et on a déjà atteint le seuil d’acceptation d’un grand nombre d’habitants et d’élus. Il faut entendre cela. Certains territoires y sont favorables, je le respecte. Mais je défends la position du Département qui demande un moratoire. Au sein de l’agglomération, notre position est claire : on n’impose rien aux communes et aux maires. Si le maire est favorable à un projet, on vote pour. Si il y est défavorable, on vote contre. Les élus locaux sont les porte-voix des habitants, il faut les respecter. Enfin, on développe des projets ambitieux, notamment celui de la filière hydrogène à Châteauroux Métropole, mais en lien avec plusieurs acteurs publics et privés du département. C’est une belle aventure ! Nous devons accélérer les EnR, c’est un engagement de la France, et c’est une nécessité énergétique et environnementale. Cependant, cela ne doit pas se faire à n’importe quel prix, de manière uniforme, dans les différentes régions de France. Il faut s’adapter aux situations locales et respecter, autant que faire se peut, la volonté des acteurs locaux. Beaucoup sont favorables aux EnR, mais certains privilégient par exemple le photovoltaïque à l’éolien, et inversement. Je suis très favorable au nucléaire, c’est une énergie décarbonée dont la France est un leader mondial. Le nucléaire est un fleuron national. Je regrette que cette filière ait été mise à mal pour des raisons politiciennes depuis dix ans, mais je me réjouis de voir que le Président de la République ait décidé de lui redonner de la force en ordonnant la construction de nouveaux EPR. Faire croire qu’on pourra avoir une énergie 100 % renouvelable est un mensonge. Dès lors, le nucléaire a toute sa part dans le mix énergétique. »

Un cadre de vie en péril

À Chaillac, le projet d’implantation de trois aérogénérateurs porté par le groupe VSB rassemble déjà contre lui une opposition nombreuse. Lors de la première réunion publique du 9 juin 2023 concernant ce nouveau chantier, Max Baillargeat évoquait même un phénomène d’« encerclement [de Chaillac], avec 14 projets à 15 kilomètres à la ronde […] dont 48 éoliennes en covisibilité avec les ruines de Brosse. » Plus loin, l’entrepreneur évoquait les méthodes douteuses de la société qui s’appuyait sur un photomontage permettant de visualiser le projet avec des « éoliennes quasi invisibles, blanches sur un fond nuageux » et sur une « duperie » au sujet de l’étude de l’impact acoustique du parc. « Je ne suis pas né anti-éoliennes, je le suis devenu à force de voir ces mensonges », précisera-t-il peu après.

 

Mathieu Moreaux, qui a démissionné de ses fonctions de maire de la commune de Chaillac, appuyait plus tard ce propos et dépeignait avec justesse une cohésion nationale toujours plus érodée par les sacrifices demandés aux plus petits et aux moins bruyants. « Lorsque j’ai reçu en 2020 la société VSB, j’ai tenu un discours d’aménagement du territoire, de parité, car nous étions déjà en autosuffisance avec le photovoltaïque. Je ne voulais pas du projet jusqu’à la fin de l’élaboration du PLUI. […] Nous sommes déjà défavorisés par rapport aux grandes métropoles, nous ne sommes pas la poubelle de la France. […] Les promoteurs ne voient que le côté économique, c’est un monde de requins, ils m’ont pris en aparté pour savoir si j’avais d’autres endroits à proposer. Ils essayaient de marchander et ont dit : “Si vous ne nous donnez pas ce que nous voulons, nous poursuivrons le projet.” […] À aucun moment on n’intègre les habitants, ils sont pris pour des truffes. […] On veut tous espérer des entreprises florissantes, même si on sait qu’il n’y aura plus jamais d’entreprises comme la SITRAM sur le territoire. Mais il y a une autre source d’activité que personne ne pourra nous voler : le tourisme. On est en train de dénaturer un écrin de verdure, il y a un impact écologique, on est placés sur le chemin de vols de chauve-souris… Le rôle de l’élu est bafoué, on n’en tient pas compte, et certains se déchirent quant au sujet des EnR à cause de l’argent. Les élus ne devraient pas pouvoir être juge et partie. […] Il y a des synergies dans certains territoires, mais ici, c’est un territoire avec des failles, divisé par les intérêts personnels. C’est comme à l’époque féodale avec le retour du diviser pour mieux régner, mais il faut que les propriétaires terriens reprennent les manettes. »

 

 

Pierre Dumont, auteur de L’écologie bananière et président de l’association Vivre en Boischaut, rejoint cet avis et regrette un manque de logique qui finira de bouleverser une région déjà défigurée. « La loi accélération EnR du 10 mars 2023 est un artifice démoniaque mis en place. Les plans régionaux sont censés être le fruit d’une concertation mais ils donnent lieu à des guerres fratricides car les élus ne se mettent pas d’accord pour les lieux d’implantation et donnent donc tous pouvoirs aux préfets. L’Indre a largement payé le tribut à l’éolien. La Champagne berrichonne est totalement défigurée avec son paysage quasi cauchemardesque. Jusqu’ici, nous avions réussi à épargner les joyaux que sont la vallée noire, la vallée des peintres et la Brenne. […] Les préfets depuis 2011 nous ont soutenus, ont refusé les permis d’exploiter, mais cela est systématiquement invalidé par la cour d’appel de Limoges et la cour d’appel de Bordeaux. Le combat est extrêmement difficile, c’est un désastre écologique. La région repose sur les trois piliers que sont l’agriculture, l’élevage et le tourisme. […] Le collège de Lourdoueix-Saint-Michel a été réhabilité mais un projet éolien est prévu à 500 mètres du site. On a affaire à des gens pas très malins, tellement obsédés par l’argent qu’ils en perdent tout discernement, mais il n’y pas d’arguments crédibles en faveur de ces projets. Disséminer des éoliennes n’a aucun sens, le raccordement est coûteux et malgré la menace du démantèlement, l’argent prime. »

 

 

 

Le maire de Bélâbre et président du Parc naturel régional de la Brenne, Laurent Laroche, a une approche mitigée. Il reconnaît des défauts à l’éolien sans pour autant s’y opposer tout à fait. « Personnellement, je ne suis pas forcément contre l’éolien, je regarde le territoire avant tout. […] Quand il n’y a pas de zone protégée, comme le nord du Berry où l’on remonte le long de l’A20, ça ne me choque pas. […] C’est une manne au début mais c’est un leurre, quid du démantèlement des machines ? Je ne souhaite pas d’éoliennes sur le PNR mais pourquoi pas sur les pourtours du parc. Pour le photovoltaïque, les agriculteurs doivent vivre de leur métier, pas devenir des producteurs d’électricité. Pourquoi pas imaginer des petites zones dans les exploitations, là où les terres sont moins productives ? C’est difficile pour des jeunes qui s’installent, ils n’ont pas forcément les moyens de reprendre 200 hectares mais s’il y avait une petite rente pour 15 ou 20 hectares maximum avec des panneaux, ça leur permettrait d’avoir un fixe et de cultiver l’autre partie du champ. En 2022, il n’y pas eu un mois sans démarchage d’un ou deux porteurs de projet qui appelaient la mairie de Bélâbre. Ils géolocalisent des zones intéressantes pour étudier la portée du vent. Ici, ce n’est pas une zone hyper venteuse donc les éoliennes mesurent 180 à 200 mètres de haut. C’est une vraie problématique pour la faune, les passereaux sont pris dans les tourbillons et leurs ailes se cassent. Indre Nature a publié une étude et a retrouvé 100 chauve-souris décédées vers Mâron dans le secteur des éoliennes installées. […] La France est un grand pays grâce au nucléaire, moins polluant que l’Allemagne et son charbon mais le parc nucléaire n’a pas été entretenu, on n’a pas su rebondir. On a aussi négligé l’hydroélectricité, mais il y a la possibilité d’installer des mini-stations sur la Creuse par exemple. »

 

 

François Avisseau, conseiller départemental du canton d’Argenton-sur-Creuse, élu à Eguzon et maire délégué de Chantôme, apporte des précisions concernant le volet touristique. « L’éolien n’est pas fait pour nous, pour le sud du département de l’Indre en tout cas. Il va à l’encontre de nos objectifs de développement qui consistent à valoriser notre patrimoine naturel, historique, paysager -en lien avec l’histoire de la vallée des peintres-, ce qu’on appelle le tourisme vert. On admet que le paysage change, il ne s’agit pas d’un conservatoire dont nous serions les aborigènes, il a d’ailleurs déjà changé avec le barrage EDF. Mais l’éolien s’y intègre difficilement. […] Je ne suis pas hostile à l’argument “C’est bon pour la nation”, mais les arguments ne sont pas là. Le barrage était un sacrifice, il reste d’ailleurs quelques vestiges du village de Chambon qui a disparu sous l’eau, mais il y a eu du positif. Il n’y a pas de nostalgie stérile aux accents misérabilistes, mais je suis très attaché à la question de l’aménagement du territoire et dès qu’on veut faire quelque chose, il y des règles. On nous empêche de faire un lotissement par exemple, mais les éoliennes ne sont pas concernées par ces contraintes. Le deux poids/deux mesures me choque, et il choque aussi les gens. »

 

Le fragile argument esthétique

La digue de l’argument esthétique ou patrimonial semble avoir sauté. Au sujet du projet à cheval sur Vigoux et Bazaiges, et plus particulièrement de l’impact visuel sur les ruines du château de la Prune-au-Pot à Ceaulmont inscrit aux monuments historiques, la Cour administrative d’appel de Bordeaux précisait : « Si la ministre de la transition écologique fait valoir également que les éoliennes seront visibles depuis le donjon des ruines du château, il résulte des photomontages versés au dossier que la vue est déjà anthropisée, en premier plan, par la présence d’une ligne électrique et d’une ligne téléphonique ainsi que par celle d’une entreprise de construction située à 250 mètres. […]. Dès lors, en dépit des avis défavorables de l’inspection des installations classées, de la commission d’enquête et du chef de l’unité départementale de l’architecture et du patrimoine […] le préfet de l’Indre a entaché sa décision d’une erreur d’appréciation de l’atteinte portée aux intérêts protégés par les articles L.181-3 et L.511-1 du code de l’environnement. » La mauvaise foi n’a pas étouffé ceux qui comparent sans broncher les éoliennes prochainement installées à des lignes téléphoniques, à des lignes électriques et aux grues Guignard, aussi laides soient-elles.

 

 

Christian Altobelli, qui travaillait au sein d’une société possédant une branche éolienne, confirme que cet angle d’attaque ne permettra plus d’enterrer les projets. « Je pense que lutter contre l’éolien uniquement sur la perturbation esthétique qu’il engendre ne sera pas suffisant. [Il faut parler de] la destruction des routes lors des chantiers d’installations, du (très) faible rendement annuel des parcs éoliens installés et du fait de devoir suppléer l’absence de vent par des centrales à démarrage rapide (gaz ou charbon pour le moment). Les éoliennes sont donc utiles pour générer de l’énergie servant à produire des réserves, pour la production d’hydrogène, remonter de l’eau dans le bassin supérieur d’un barrage, faire tourner un disque pour en récupérer l’énergie cinétique, voire pour “dessaler” l’eau de mer. Mais pour produire de l’électricité au quotidien les éoliennes ne me semblent pas adaptées. »

« Ici, ça fait 100 ans qu’on fait du renouvelable ! »

François Avisseau défend d’autres modes de production d’électricité et soulève le problème démocratique posé par l’implantation tous azimuts d’éoliennes sur le territoire. « Le barrage donne des opportunités, grâce à lui, Eguzon a eu l’électricité dès 1927 même s’il a été construit pour alimenter Paris. Si on poussait les capacités de l’hydroélectrique existant en France, on obtiendrait un surcroît de production équivalent à un ou deux réacteurs nucléaires. Il faut relever le défi, ici, ça fait 100 ans qu’on fait du renouvelable ! […] Pour les éoliennes, quid du devenir des déchets ? Les pales sont enterrées dans des pays du tiers-monde. Cela vaut aussi pour le photovoltaïque, même s’il y a du progrès et qu’hormis la silice, tout se recycle. Il y a une trop grande dépendance de l’extérieur. La filière française est balbutiante, les énergies renouvelables, c’est bien beau mais il faut être maître chez soi, pour la mise en place et le renouvellement. Il faut appuyer sur cet argument car c’est le même qui est utilisé pour critiquer les énergies fossiles. À Eguzon, nous avions un projet d’installation de panneaux photovoltaïques dans la zone d’activités du Pez-Chauvet mais le projet a du plomb dans l’aile, notamment à cause de la DDT car les conditions se durcissent pour l’utilisation de terrains agricoles. Cela pose un problème démocratique, qui décide de l’aménagement du territoire ? Il y a un rejet de l’éolien qui perdurera tant qu’on n’aura pas apporté des réponses techniques et réglementaires, et je comprends ce rejet, il ne m’étonne pas.. L’État devrait garantir la maîtrise, au lieu de ça, il n’a pas le beau rôle, est “pro-business”, prône le “pas d’entraves, pas de contraintes”, n’est que le supplétif d’un capitalisme vert. Là, on sort de la République, et je pense que c’est bête. Il y aurait un parallèle à faire avec la construction des prisons. Il n’y en a pas assez, mais personne ne veut vivre à côté. Il faudrait qu’il y ait une concertation et des explications, avec des compensations financières, se donner les moyens de la conviction et de l’incitation. Au lieu de ça, l’État sort le bâton. Il reste de tout ça des gens fâchés, qui auront exprimé leur désarroi et jetteront le bébé avec l’eau du bain en s’opposant complètement à la transition énergétique. Il y a un effet de mode, comme il y en a eu pour des choses aberrantes. Il y a quelques années, on incitait les communes à multiplier les étangs et les retenues d’eau, les haies étaient arrachées, aujourd’hui, on entend un autre discours. […] Pour le nucléaire, je raisonne en historien. Le nucléaire produit déjà la part la plus importante d’énergie décarbonée, même s’il y a des effets négatifs, mais on n’a rien sans rien, c’est un calcul entre les coûts et les bénéfices. »

Le grain de sel d'un ancien ingénieur d'edf

Bernard Evenot en rajoute une couche et expose un parallèle qu’on entend peu dans le débat. « Pendant la période de canicule que nous traversons en ce mois de juillet 2023, les relevés opérés tous les quarts d’heure de la puissance électrique consommée et produite en France (RTE éco2mix) met en évidence que la totalité de la puissance fournie par les aérogénérateurs industriels est souvent inférieure à 5 % de la puissance installée de ces machines. Accepterions nous d’acheter une voiture capable de rouler à 130 km/h et qui soit bridée à seulement 6 km/h quand le vent ne souffle pas ? […] Sans vent, pas de courant ! Pour faire face instantanément à la demande, il est nécessaire d’avoir recours à d’autres moyens de production d’électricité, pas nécessairement respectueux de la nature. L’autre alternative est la mise en place de coupures tournantes pour répartir la pénurie de production. L’énergie hydraulique est également sujette aux variations des débits des cours d’eau. Mais, à la différence de l’éolien, l’eau est préalablement stockée dans les retenues des barrages. Aussi, il est possible, à tout moment, quand le besoin apparait, d’ouvrir une vanne pour entrainer une turbine. L’hydraulique est un moyen de production d’électricité pilotable. L’éolien est fatal et EDF est OBLIGÉ d’absorber la totalité de cette production aléatoire, même si le réseau n’en a pas besoin. La question de la réduction des gaz à effet de serre (CO2) n’est pas un problème franco-français. Il concerne la totalité de la planète. […] Pour être efficace à l’échelle planétaire, il faut agir en priorité sur les producteurs de CO2 les plus importants du monde. Or, la France ne contribue qu’à moins de 1 % de la production mondiale de CO2. Les Allemands font nettement mieux puisqu’ils portent leur quote-part à 2,2 %. Que dire des États-Unis d’Amérique avec 14,5 % et de la Chine qui, à elle seule, produit 28,2 % de CO2 qui affecte la planète. La France dégage 0,030 kg de CO2 par kWh d’électricité fourni. Pendant ce temps, les Allemands fabriquent des kWh électriques, qui, grâce à leur lignite émettent 0,461 kg de CO2, soit 15 fois plus que nous ! La Chine avec 0,766 kg de CO2 par kWh, produit 26 fois plus de gaz à effet de serre que nous pour fabriquer son électricité. Il serait bon de remarquer, qu’au motif de sauver la planète, les promoteurs de l’éolien en France (très souvent des entreprises étrangères), font fabriquer leurs engins de saccage industriels dans le pays qui pollue le plus cette même planète ! »

de la dépossession à l'implication

Loin de ces considérations, quelques élus semblent encore convaincus des bienfaits de l’implantation de parcs éoliens dans la région, et même de leur nécessité. Jérémie Godet, conseiller régional d’Argenton-sur-Creuse et président du groupe Écologie et solidarité à la Région Centre-Val de Loire admet qu’« il faut regarder projet par projet, avec qui, comment, et savoir si la biodiversité est préservée. L’éolien est une des EnR les plus efficaces en termes de retour sur le coût que ça a, c’est beaucoup plus efficace que le micro-hydraulique. Et je trouve que les éoliennes, c’est pas si moche que ça. Dans le Morbihan où il y en a beaucoup, ce n’est plus un sujet dans le paysage, cela n’empêche pas le tourisme. Les futurs EPR ne seront pas prêts avant 2040, les éoliennes font donc partie du mix. […] Dans 20 000 ou 30 000 ans, il y aura encore des déchets nucléaires, qu’est-ce qu’on lègue aux générations futures ? C’est un vrai sujet. […], comme celui de l’accès à l’eau que le nucléaire consomme en grandes quantités. Avec le manque d’eau à venir, les centrales seront encore plus intermittentes que les éoliennes aujourd’hui. Le nucléaire pose aussi le problème de la sécurité, avec un accident grave dans le monde tous les 20 à 30 ans. Les éoliennes sont plus pilotables qu’on ne pense, les météorologues savent prédire le vent à dix jours. »

 

Anne-Claude Moisan-Lefebvre, conseillère départementale du canton d’Argenton-sur-Creuse, avance des arguments similaires tout en réfléchissant à une intégration de la population au sein des projets éoliens. « La pénurie d’eau à venir impactera les paysages qui seront gravement altérés, à cause de la biodiversité et des arbres qui vont disparaître. Il faut développer les EnR. Le nucléaire et sa surconsommation en eau sont un danger, le risque d’un accident n’est pas totalement maîtrisé, il y a la gestion des déchets… je ne vois pas comment on peut renoncer aux éoliennes. […] J’observe que les élus et les habitants se sentent le jouet des promoteurs, il y a un sentiment de dépossession. Puisqu’on ne peut pas réduire l’ambition en termes d’éolien, on peut imaginer des montages financiers incluant les citoyens et les collectivités. Il faut reprendre la main, les EnR sont une nécessité, mais il faut en devenir acteur pour ne pas les subir. »

 

D’aucuns pouvaient reprocher aux élus locaux une certaine vision à court terme, préférant bénéficier d’une rente pour construire des ronds-points ou rénover la bibliothèque municipale plutôt que de préserver leurs derniers trésors. Il sera désormais possible d’acheter le silence des populations rurales qui auront préféré élargir leur maigre pouvoir d’achat au détriment du patrimoine naturel et bâti de leur pays. Et finalement, il apparaît que sur l’échelle des priorités des pro-éoliens, l’anti-nucléarisme trône au sommet. Peu importe que la biodiversité soit toujours plus malmenée, que les hommes s’octroient encore plus d’espaces, que les sols soient davantage abimés, pourvu que les centrales nucléaires disparaissent.

 

Un argument fait cependant consensus ; élus de tous bords et associations promeuvent d’une façon ou d’une autre la diminution de notre consommation d’électricité, à travers l’isolation thermique de nos habitations notamment. Car il faut reconnaître à l’éolien et sa grotesque occupation de l’espace le mérite d’interroger notre mode de vie qui repose principalement sur la production d’électricité. Si le nucléaire français devait continuer de s’effondrer, mieux vaudrait se pencher sur un changement complet de paradigme plutôt que de déboussoler davantage les fonds marins et sacrifier notre agriculture qui nous nourrit toujours de moins en moins.

 

Aussi, en termes de géographie ou de ressources minières, les limites finiront par s’imposer et ne pourront plus être ignorées. François Avisseau ajoute par ailleurs une réflexion intéressante. « Au regard de ces éléments, on voit mal comment affronter les décennies à venir sans diminuer notre consommation. Mais cela pose la question de l’équité sociale, je crains que ce ne soit une Saint-Barthélémy pour les plus modestes. » Qu’elle soit imposée ou recherchée, qui donc sera concerné par la sobriété ? Insoutenable suspens.

Querelles de chapelle

Le débat au sujet de l’éolien est plus violent qu’il n’en a l’air. La ruralité se sent punie d’habiter des zones trop faiblement peuplées, de peser peu électoralement (les territoires ruraux réunissaient 88 % des communes en France et 33 % de la population en 2017), de subir une « transition énergétique » pour sauver une planète qu’elle n’a pas la franche impression de polluer, d’être la proie d’industriels. Mais à s’organiser parfois maladroitement, il lui arrive de se punir elle-même. Le mouvement anti-éolien n’est pas épargné par les querelles de chapelle. Là aussi, les acteurs sont hiérarchisés, ceux qui crient trop fort leur désespoir peuvent être écartés pour faire place aux opposants d’allure plus respectable. 

Il faut avoir entendu la douloureuse détresse de Jean-Pierre Aubray, ancien maire de Bazaiges, pour saisir cette injustice absurde qui fait le lit des promoteurs. Lors de la manifestation contre l’implantation d’éoliennes à Chaillac le 24 juin 2023, l’enseignant retraité a lancé à Dominique Tissier, président de l’association Bouchures, traditions et héritage, pourtant opposé au projet : « Je ne vous parle pas à vous, vous êtes un faux-cul ! » Plus tard, il s’explique. « Il m’avait promis que je pourrais parler et puis il a refusé, tout ça parce que je ne suis pas élu ! » Celui qui a finalement pu s’exprimer et exhorter les Chaillacois à résister a le combat anti-éolien « chevillé au corps », mais sa sincérité, son franc-parler semblent gêner. Quelques semaines auparavant, lors de la réunion publique à Chaillac, c’est Ulysse Dupont et sa prise de parole peu orthodoxe de dernière minute qui avaient rendu silencieuse l’assemblée. « Je voudrais parler du projet d’installation de panneaux photovoltaïques à La Châtre-l’Anglin. Ce sont des combats frères, la problématique est la même ! » 

L’avenir nous informera des avancées du militantisme molletonné. 

Estelle Caumartin

 

Nadine Bellurot, Frédérique Gerbaud, Marc Fleuret, Indre Nature, François Jolivet, Jacques Pallas et Philippe Gourlay n’ont pas répondu à nos sollicitations. 

Remerciements à Sébastien de l’association PasDeVentChezNous pour la suggestion du recueil des témoignages de nos élus ainsi qu’à Xavier Letchimy pour l’envoi des articles relatifs à l’emprise au sol des différents modes de production d’électricité.

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