rencontre

Christine desautard,
ou la musique comme refuge

Le visage tourné en direction de la campagne sauvigeoise, les mains jointes et la voix assurée, c’est ainsi que Christine Desautard parcourt gaiement un répertoire d’anciennes chansons françaises. Installée dans le salon de la maison familiale, elle s’enregistre et partage sa passion à travers sa chaîne Youtube.

Revenue sur les terres du berceau familial à Sauviat-sur-Vige il y a quatre ans, Christine Desautard, âgée de 63 ans, est issue d’une lignée de maçons limousins, exerçant le métier de père en fils jusqu’au siècle dernier. « J’ai été bercée par le son de la mandoline, la voix de ténor de mon père et les chansons des années trente. J’en ai gardé un goût, puis j’ai commencé le piano et le chant. Moi qui étais timide et réservée, ça me permettait d’exprimer ce que je ne pouvais pas exprimer par la parole, d’être dans un autre monde, de m’évader », évoque la chanteuse amateur. Partie à Paris, Christine y prend des cours de chant qui ne la satisfont pas, avant de suivre un stage qui révolutionne son approche artistique : « La méthode Feldenkrais, basée sur le corps et le mouvement, était utilisée. J’ai découvert que l’on chantait autant avec notre corps qu’avec nos cordes vocales. Tout est inscrit en nous, les traumatismes, les tensions, et tout intervient, la mâchoire ou le cou par exemple. Nous étions dans le lâcher prise et apprenions à gérer notre souffle le mieux possible », se remémore-t-elle.

Inspirée par Édith Piaf, Yvette Giraud, Renée Lebas, Juliette Gréco, Jacques Brel, Serge Reggiani ou encore Charles Dumont, Christine Desautard a également puisé son amour de la musique dans le répertoire classique à travers Bizet, Tchaïkovsky, Verdi et Bellini, et dans le jazz. 

Une vie d'abnégation

Christine Desautard a ensuite laissé de côté son art pour emprunter le chemin du mariage et de la maternité. Après une pause professionnelle et un changement de région dus à la mutation de son époux, la jeune femme décide de se vouer à l’éducation de sa fille qu’elle instruira elle-même jusqu’au baccalauréat. Car dès la maternelle, Christine s’aperçoit que l’école est inadaptée à sa progéniture : « Ma fille était très curieuse, active et vive d’esprit. Peu après son entrée en maternelle, il y a eu un changement de comportement. Elle est devenue taciturne, elle était éteinte. Elle aurait été détruite si je l’avais laissée dans ce système-là », justifie-t-elle.

Les techniques d’apprentissage employées par l’Éducation Nationale laissent perplexe Christine Desautard : « La méthode globale est une catastrophe ; avec elle, ma fille n’arrivait pas à lire. J’ai repris les choses en main en lui proposant la méthode syllabique à l’aide de la Méthode Boscher et d’autres livres avec un langage classique, des mots soutenus. Je lui faisais lire les grands classiques d’Hugo, Maupassant, Sand… Nous avons une belle langue mais il faut de beaux textes pour la mettre en valeur ! Et pour apprendre à écrire sans faute, la dictée était quotidienne », développe l’amatrice de musique. Cette dernière ne regrette pas le chemin parcouru, mais incrimine la médiocrité dont l’école est malheureusement imprégnée : « J’ai pu restituer les acquis que j’avais reçus quand l’enseignement était de qualité. Mais avec le niveau actuel, je n’aurais pas pu le faire sans avoir suivi d’études supérieures. Le certificat d’étude assurait un très bon niveau ! », conclut-elle.

Dix ans sur un bateau

La famille déjà hors-norme appuiera encore sa différence en se procurant, à l’aube des années 2000, un voilier d’occasion pour s’embarquer dix ans durant dans les eaux méditerranéennes. Partis d’Argelès-sur-Mer, le couple et leur fille visiteront la Sardaigne, la Sicile, les îles grecques, la Crête, la Turquie, l’Égypte, la Lybie. « J’ai parfois eu peur, avec les pannes techniques et la météo. C’est l’école de la vie ! », résume Christine. Une ombre ternit cependant cette décennie de voyage : la pollution. Déjà, la chanteuse en constate les ravages et s’émeut des déchets omniprésents dans la mer et des déversements d’eaux usées ou de fioul. Un jour, elle aperçoit des dauphins qui accompagnent le bateau durant quelques minutes : « Je les voyais, je ressentais leur confiance et je me disais qu’ils n’avaient aucune idée du mal qu’on pouvait leur faire », se souvient une Christine encore affectée par cet épisode. Le tourisme de masse, les bus pratiquant les mêmes itinéraires restreints et les visiteurs peu curieux de s’extraire du cadre prédéfini des parcours établis par les tour-opérateurs l’ont aussi profondément déçue.

À son retour sur la terre ferme, Christine Desautard accuse le coup ; la rupture idéologique avec la société est plus que jamais consommée même si le fossé se creusait depuis plusieurs années : « Je ne me reconnais pas dans la société actuelle. Il y a beaucoup plus d’individualisme qu’avant, où on parlait à tout le monde, où tout le monde se connaissait, où il y avait une forme de solidarité. Aujourd’hui, il y a parfois des comportements agressifs et de moins en moins d’humanité », remarque-t-elle.

Le refuge dans la musique

Si le chant lui permettait de surmonter sa timidité, dorénavant, il représente une véritable échappatoire : « Je fuis dans la musique, d’où je peux accéder au Beau. » Malheureusement, cet art lui paraît aussi dévoyé : «  Avant, les gens chantaient naturellement. J’ai souvenir de mon père qui chantait et prenait sa mandoline à la fin de ses chantiers. Chacun trouvait son plaisir même si ce n’était pas parfait. Pourrait-on imaginer aujourd’hui quelqu’un qui garderait ses moutons et se mettrait à chanter au milieu de son pré ? Il n’y a plus un concert sans un tas de matériel, de la réverbération, beaucoup d’accompagnements. La musique a perdu de son authenticité et de son naturel. La voix est mélangée à trop d’artifices. » Pour renouer avec la pureté musicale, Christine Desautard, qui revendique faire « de la chanson artisanale », a réuni un matériel rudimentaire pour effectuer ses enregistrements ; un pupitre supportant ses partitions, un ordinateur pour lancer la mélodie et un micro lui suffisent.

Nostalgie d'une époque révolue

Christine Desautard regrette que l’accès à la musique lyrique, qu’elle admire, soit de plus en plus réservé à une élite, une « catégorie sociale élevée ». Nostalgique, elle ajoute encore : « Sans culture musicale particulière, mon père aimait l’opéra, et notamment La Callas. Le goût de la musique, c’est une éducation. Il devrait y avoir plus d’éveil musical pour les enfants à l’école. La musique de qualité, lyrique, ne devrait pas être réservée, c’est pour tout le monde. […] Plus jeune, j’allais voir les opérettes à Limoges, les décors étaient féeriques, il y avait les vedettes du moment, c’était magique. Cela permettait à des gens modestes d’aller voir des choses de qualité. Je suis peut-être passéiste mais ce qui se faisait de bien a disparu. Maintenant, il faut faire des tubes, que ce soit rentable. L’art ne devrait pas se monnayer, une émotion ne se monnaie pas ! »

Le bon côté de la modernité

Comme un témoin d’une époque définitivement enterrée, Christine déplore l’abêtissement propagé par la télévision : « Elle a fait énormément de dégâts, déjà parce que les gens ont arrêté de sortir. Cela a tué les bals, les spectacles. Les programmes aussi ont perdu en qualité. À l’époque, je découvrais le théâtre de boulevard, le cirque, les débats avec des pointures intellectuelles. Ç’aurait pu être un outil pour augmenter les gens, au lieu de ça, on y met en avant tout ce qu’il peut y avoir de pire dans l’être humain. »

Pour échapper au marasme, aux informations anxiogènes et au délitement du paysage culturel, Christine Desautard se réfugie dans les morceaux qui ont bercé sa jeunesse : « J’essaie de me créer un havre de paix. L’essentiel est désormais de protéger les siens, de voir si on peut ajouter sa pierre à l’édifice. C’est ce que j’essaie de faire à travers la musique, si je peux apporter trois minutes de paix et de calme… », poursuit-elle.

La chanteuse revisite et reprend des titres encore chers au public, et le partage de sa passion sur Internet lui a permis de collaborer avec Patrice Pertuit, Gérard Bouiyer et Gérard Salert, auteurs-compositeurs, ainsi qu’Emmanuel Pinto, musicien amateur. Ces partenariats ont débouché sur la création de morceaux nouveaux, de chansons tout à fait inédites. Car la modernité, qui a induit un certain déclin moral et culturel, a aussi apporté son lot de progrès à travers la toile et permet de rapprocher sans peine ceux qu’une même passion anime. 


Retrouvez Christine Desautard
sur ses différentes plateformes

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