Le Berry fait peau neuve

Éveil et transmission à
l’université du Sur-Sault

Pour le trio créateur de l’université du Sur-Sault, Saint-Benoît-du-Sault représentait un terrain de jeu idéal pour extirper le savoir des grandes villes et l’implanter dans un milieu rural. Lancée au début de l’année 2021, la structure permet à des conférenciers de transmettre leur savoir et de lancer des débats.

Saint-Benoît-du-Sault a beau être une commune rurale de peu d’habitants, il excite les passions. Gare à celui qui se risquerait à manifester un peu de curiosité et à juger de l’état de la cité médiévale. Les vestiges de son histoire millénaire, sa beauté déchirée entre déclin et résurrection expliquent sans doute l’étendue de l’enjeu. Le précieux gâteau bénédictin affole et chacun tient à en savourer sa part.

La volée de bois vert que nous avions reçue il y a quelques mois pour avoir dépeint un village sinistre et délaissé témoigne de cette chatouilleuse convoitise qui rend difficile l’émission de la moindre critique. Néanmoins, nous persistons et signons. Oui, la fermeture du pont s’éternise. Oui, les chaussées y sont quelque peu défoncées. Et oui, rares sont les commerçants qui trouvent encore le courage d’ouvrir boutique. Le Taiseux n’y est pour rien ; il n’est qu’un témoin qui écoute sagement l’exaspération de ceux qui croisent sa route. Il observe un village qui tente de lutter contre des difficultés pratiques et démographiques qui l’entraînent sur la pente dangereuse de son propre crépuscule.

Mais parce qu’il faut mourir un peu pour pouvoir renaître, le dépérissement de Saint-Benoît-du-Sault n’est pas fatalement improductif. Tout ou presque y étant à faire, la cité offre un vaste champ des possibles à qui voudrait bien se retrousser les manches.

Naissance d’une université

Ce lit de cendres a permis à l’université du Sur-Sault, créée par un trio de trentenaires originaires de Paris et du Nord, de s’implanter dans le village au début de l’année 2021. À la tête du projet se trouvent Blaise Marchandeau-Berreby, doctorant en philosophie, Ulysse Dupont, autodidacte et Clément Moutet, ingénieur et vendeur de logiciels. Ce dernier retrace la genèse de l’université : « Je connaissais Blaise depuis l’enfance et Blaise a rencontré Ulysse lorsqu’ils étudiaient à l’école normale supérieure de Lyon. Nous avons des profils différents et complémentaires […] Les écoles de philosophie se multiplient en France, chacune a son mode de fonctionnement et son organisation interne. L’idée d’en créer une, plus interdisciplinaire, nous est venue en 2020. Nous cherchions un endroit situé sur la ligne du train Paris-Toulouse. »

Lors de leurs recherches, ils se retrouvent à Saint-Benoît-du-Sault. Blaise découvre le prieuré au détour d’une balade et se délecte du contraste entre « les vitres déglinguées et la toiture refaite à neuf. J’ai croisé à ce moment William Hyvernat et lui ai demandé ce que c’était. Il m’a répondu “Une grande déception.” puis m’a raconté le passé des lieux. » Les trois amis discutent alors du projet avec Daniel Barral qui les accueille dans ses chambres d’hôtes pour le séjour. « Il était très emballé et en a parlé à Patrick Isambert, président de l’Association du prieuré. Nous avons ensuite été présentés à l’équipe municipale puis à la communauté de communes », poursuit Clément. Ainsi naquit l’université du prieuré, de Saint-Benoît-du-Sault ou encore du Sur-Sault qui vise à « sortir les savoirs des grands centres urbains ».

Ateliers cycliques

À travers des cycles d’ateliers et de cours portant sur des thèmes variés tels que l’intelligence artificielle, l’écologie, la littérature, la poésie, la physique, et s’étendant sur trois ou quatre jours par saison, des spécialistes dans des domaines précis transmettent leur savoir à des étudiants ou des curieux. Les créateurs souhaitaient un lieu « autonome, sans direction », loin des « universités urbaines qui étouffent ».

« Il y a des lieux en ville pour le faire mais nous recherchions le milieu rural. On a le sentiment d’être plus utiles ici. […] Après les conférences, il y a des sessions de questions-réponses. Il faut parfois y mettre un terme pour respecter les horaires des conférences suivantes. […] Les zones rurales sont plus propices à la réflexion, à la pensée, au savoir et s’opposent à l’agitation des villes. Nous cherchons à valoriser le savoir et de nouveaux types d’activités. Il y a un questionnement sur le travail et la remise en cause d’activités traditionnelles. La vie de village ressemble à la vie de quartier, avec des petites communautés alternatives et des types d’organisations moins aliénantes que celles qu’on connaît. […] Nous souhaitons créer la rencontre entre les savoirs des villes et les savoirs des campagnes », revendique l’ingénieur.

Petit à petit, le projet s’affine et le trio envisage un rythme de conférences plus soutenu ainsi que l’intégration au programme d’intervenants plus chevronnés. Clément précise : « Il y avait un côté très artisanal aux premières conférences. On aimerait qu’il y en ait de plus en plus et faire appel à des organismes, des conférenciers plus connus, plus éloignés de notre cercle. Pour l’instant il n’y a pas de financements, et très peu de frais de fonctionnement. Une participation libre est demandée aux intervenants. Le cadre exceptionnel du Berry et de Saint-Benoît-du-Sault les attire, ça leur apporte beaucoup. Il y a une ambiance, ce sont des vacances studieuses. »

Pour le moment, les trois amis s’implantent doucement et ont notamment fait l’acquisition d’une maison située non loin du prieuré, un lieu utilisé comme pied-à-terre pour les créateurs de l’université et les conférenciers.

Public et désertion

Des conférences qui se poursuivent par d’interminables débats, c’est assez rare dans nos contrées pour nous avoir donné l’envie d’y assister. Fin mars, dans le prieuré délabré et ouvert aux quatre vents, les intervenants se sont succédé et illustrés à travers des exposés et des discussions plus informelles. Les marronniers flétris du Berry étaient absents du programme ; en ce début de printemps, c’est le thème du renouveau qui a fait office de fil rouge pendant trois jours.

La forme d’une conférence dépendant largement de celui qui la donne, chaque intervenant a adopté le style et la configuration qui lui convenaient le mieux. Clément Moutet, qui prépare un livre sur le sujet, a notamment pu tester ses analyses dans le cadre d’une réflexion portant sur la construction d’organisations non aliénantes. Blaise Marchandeau-Berreby a quant à lui, donné un cours plus magistral s’appuyant sur un corpus de textes pour évoquer la question du pouvoir. Des conférences sur la notion d’auto-organisation en physique et biologie ainsi que sur l’opposition entre droit naturel et culturel ont également eu lieu. À l’université du Sur-Sault, vous pouvez aussi bien assister à des conférences pour lesquelles des prérequis en philosophie sont tacitement nécessaires qu’à des exposés plus légers. Aussi, toutes les sessions sont filmées et mises en ligne pour élargir l’audience.

Car du côté des visages qui fréquentent l’université, il est rare qu’un curieux du coin se glisse dans l’auditoire. Le public est généralement composé d’une quinzaine d’étudiants venus des grandes villes qui connaissent le trio créateur. L’accès aux conférences est pourtant libre et gratuit, aussi faut-il chercher les raisons de cette désertion un peu plus loin. L’université manque-t-elle de moyens pour communiquer, les problématiques abordées sont-elles trop abstruses ? Le lieu est-il trop impressionnant ? L’équipe reconnaît que les conférences étaient largement plus fréquentées lorsqu’elles avaient lieu dans la boutique de Kathy Bouckaert, chez Daniel Barral ou encore dans son propre garage-théâtre, et que l’été est plus propice aux discussions. En outre, la démographie explique peut-être en partie ce manque d’intérêt (les 15-29 ans représentaient seulement 9,2 % de la population bénédictine lors du recensement de 2019 d’après l’Insee).

Alors, l’attrait pour la chose intellectuelle est-il mort ou est-il condamné à demeurer l’apanage des jeunes citadins ? Comment la compréhension des grandes problématiques qui régissent notre existence peut-elle laisser froids la quasi totalité de la population de Saint-Benoît-du-Sault et des alentours ? L’agrément pour le débat, pour la réflexion, ne croît-il que dans le confort de son propre salon ?

Paroles d'un maire conquis...

Damien Barré, maire de Saint-Benoît-du-Sault depuis le 20 février 2023, a son avis sur la question. « Chez nous, les choses se font sur le temps long. Après une période d’exploration et de mise en place, le projet doit aller au devant des habitants. En effet, mais c’est un constat général, pour aller à un événement, il faut se sentir un lien. C’est aussi notre rôle de faciliter cette interface, pour dépasser ce blocage. Il nous faut également créer des liens avec les réseaux ou les outils existants sur le sud Berry. Ensuite, nous souhaitons aider le projet à prendre sa pleine dimension, à accueillir des intervenants de bon niveau et créer un environnement intellectuel qui s’inscrit aussi dans nos projets. »

Dans cette perspective, le nouvel édile et son équipe apportent un soutien logistique et moral à l’université. « Le projet de l’université du Sur-Sault s’inscrit dans le paysage culturel général. Notre ambition au niveau municipal est d’accompagner et de soutenir les initiatives qui contribuent à l’animation du village autant qu’à son rayonnement, sans en déposséder les organisateurs. En effet, en particulier sur notre territoire, les initiatives associatives ont déjà fait leurs preuves. Comme pour les autres associations, la municipalité met déjà à disposition des espaces et cherche comment faciliter l’organisation. Ceci étant dit, notre accompagnement se fait directement sous trois volets que nous pourrions résumer ainsi : [d’une part] la cohérence ; nous travaillons pour assurer une visibilité mais aussi une cohérence des événements, notamment dans l’accès aux salles et dans la gestion du calendrier. Ceci peut paraître anecdotique mais est essentiel avec le foisonnement de la vie associative et culturelle. [D’autre part] la cohésion, en faisant se rencontrer, et autour d’événements communs entre les organisateurs, notamment pour la présentation de la programmation d’été. [Enfin] la communication, en assistant les différentes associations, et en tâchant de donner plus d’impact à la communication de chaque événement. »

Damien Barré s’est également instruit de quelques interventions et semble profondément convaincu  de l’intérêt du projet. « À titre personnel, j’ai déjà pu assister à des conférences, ou bien les consulter en ligne. Je trouve la démarche, et l’engagement des organisateurs, de grande valeur pour notre territoire. En particulier, ils soulèvent des questionnements qui font écho à notre époque, que je retrouve aussi chez nos anciens, et qui correspondent à des préoccupations. Je pense que ce projet peut complètement prendre son envol en faisant écho auprès de personnes qui souhaitent prendre le temps de réfléchir et nourrir une pensée critique. »

... et d'une Bénédictine rétive

Élisabeth Vialet s’est installée en janvier 2022 dans la cité médiévale. D’abord enthousiaste quant à ce projet d’université, cette habitante a finalement été déçue de la tournure prise par les différentes conférences. « Lorsque j’ai pris connaissance durant l’été 2022 de leur projet/programme j’ai été très intéressée. J’ai rencontré Blaise Marchandeau-Berreby et Clément Moutet, ainsi qu’Ulysse Dupont l’été dernier lors d’une journée de conférences. […] J’ai passé un après-midi de juillet dernier au prieuré et assisté à une conférence de Blaise Marchandeau-Berreby, qui avait remplacé celle prévue sur le programme annoncé, et ensuite à une sorte d’atelier de réflexions et paroles proposé par Ulysse Dupont qui avait sélectionné quatre extraits de quatre auteurs différents. D’autre part j’ai écouté plusieurs “conférences”. » Élisabeth déplore tantôt le manque de vulgarisation de certaines interventions, tantôt le « manque de préparation sérieuse, de rigueur, de travail, de niveau ». Aussi a-t-elle réagi de façon parfois vive sur la page Facebook de l’université. « Je pense qu’utiliser le nom du prieuré de Saint-Benoît-du-Sault et le nom “d’université” ainsi que le but annoncé de “croisement du savoir et de la ruralité” est très ambitieux, [c’est] une vraie responsabilité, et en l’occurrence le résultat est totalement raté, à mon avis. ». En outre, la « Bénédictine de cœur » qui défend des positions plutôt conservatrices, reproche à l’université de diffuser « une idéologie politique » de gauche.

Des idées mais pas de parti

« Élisabeth Vialet n’est pas n’importe quelle habitante de Saint-Benoît-du-Sault, elle a un engagement politique de longue date… » s’offusque Clément Moutet qui défend par ailleurs la pluralité des opinions au sein des différents cycles de conférences et confirme que la structure n’est « affiliée à aucun parti politique ». Et s’il s’agit de faire intervenir des personnes éloignées des idées des créateurs, l’ingénieur assure que toutes les propositions seront étudiées. « L’essentiel est que d’une manière générale, le point de vue soit étayé. Car l’intervenant est responsable de ce qu’il avance, il doit le justifier ensuite s’il y a des questions. Il n’y a pas de sujets imposés, on rencontre un spécialiste qui parle sans filtre et qui approfondit les points abordés durant la session de questions-réponses. […] Une fois, nous avons eu un conférencier pro-décroissance face à un entrepreneur pro-transition écologique qui vendait des panneaux solaires… » Et Blaise Marchandeau-Berreby d’ajouter : « Il n’y a pas d’ambition cachée, le but n’est pas d’apporter des diplômes, de préparer au monde du travail… On s’assoit, on réfléchit au sens de ce que des auteurs ont pu écrire, c’est tout. »

Confrontée à quelques critiques mais soutenue par l’équipe municipale du village, l’université du Sur-Sault, qui œuvre pour le tressaillement cérébral du Berry, a au moins le mérite de tenter d’éveiller les consciences et de rafraîchir un peu notre paysage intellectuel. Alors, avis aux amateurs et spécialistes de tout poil qui souhaiteraient intervenir et enrichir de leurs propositions les prochaines sessions de conférences, vous y serez les bienvenus. 


Retrouvez l'université du Sur-Sault sur ses différentes plateformes

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