rencontre
valérie esnault,
trente-et-un ans au service du domaine de poulaines
Tombée sous le charme du domaine de Poulaines en 1991, Valérie Esnault a depuis lors consacré sa vie à remettre d’aplomb ce lieu remarquable et y créer de prodigieux jardins. Néanmoins, le tableau se ternit lorsqu’en mars dernier, l’inscription aux monuments historiques, un statut clef pour asseoir de nouveaux projets, n’est plus validée après un premier examen positif. Rencontre avec une femme de poigne et d’exception qui se bat avec passion pour poursuivre la restauration des lieux et les laisser ouverts au public.
À deux pas de Valençay et de son imposant château, la petite commune de Poulaines, dénombrant 865 âmes, parvient à défendre un patrimoine non négligeable. Foire aux ânes, église datant de la fin du XIIe siècle et lavoir couvert d’une charpente du XIXe siècle attirent de nombreux visiteurs chaque année. Mais le site incontournable de la commune reste le domaine de Poulaines, géré et mis en valeur par Valérie Esnault depuis trente-et-un ans.
Un coup de foudre pour le lieu
Fruit d’une lignée paternelle d’extraction agricole et d’une lignée maternelle œuvrant pour la Marine nationale, Valérie Esnault, âgée de 57 ans, a découvert le lieu avec son mari en 1991 alors qu’ils recherchaient une résidence secondaire. Seul le « château de Poulaines » réunissait toutes les qualités exigées par le couple qui a rapidement concrétisé son coup de foudre en faisant l’acquisition de cette demeure. « La maison était dans son jus, il n’y avait pas de jardins, le cours d’eau avait été modifié », se remémore Valérie qui pressentait le potentiel du site. La vie du lieu et sa rénovation se « juxtaposeront » ensuite à la vie familiale car trois naissances suivront l’achat du bien qui renferme aujourd’hui tous les trésors des enfants du couple.
De 1995 à 2014, ce dernier achète ensuite les bâtis de la métairie et des parcelles à plusieurs propriétaires afin de reconstituer le domaine de Poulaines.
Et tout partit d'une monographie...
Suivant les conseils d’un proche ferronnier attaché au lieu, Valérie Esnault ouvre en 2012 les jardins à l’occasion des journées du patrimoine, puis le gîte, et accueille alors ses premiers visiteurs. Parmi ces nouveaux clients, des spécialistes en dendrochronologie venus dater les charpentes du château de Valençay remarquent alors celles de Poulaines et conseillent de réaliser une étude plus poussée à ce sujet. Plus tard, l’étude historique d’un jeune historien permet de retrouver des mentions du site dans des documents d’archives dès 1340 et d’asseoir ainsi son importance au sein du territoire. « Tout est donc parti d’une monographie du XIXe qui nous a été remise par les anciens du village. Les charpentes sont parmi les plus anciennes du Berry et sont datées à 90 %. La dendrochronologie qui a daté entièrement les charpentes des deux corps de logis de la Renaissance (1502-07 et 1519-20) et l’étude historique de Pol Vendeville confirment l’existence des étangs, fossés, pigeonnier dès le XVIe siècle et indique précisément les plantations des arbres anciens aux XVIIIe et XIXe siècles. Il existe donc dans le nord de l’Indre un ensemble complet identifié historiquement, non restauré au XIXe, à sauvegarder », détaille Valérie Esnault qui connaît désormais le passé de son domaine sur le bout des doigts.
Création des jardins
À partir de 1998, des jardins contemporains avec un chemin d’eau sont créés autour des essences existantes. Valérie suit en parallèle de nombreuses formations en botanique, notamment à l’école d’horticulture du jardin du Luxembourg et au Muséum national d’Histoire naturelle, à Paris, à l’école nationale supérieure de paysage de Versailles, ainsi que des formations concernant le potager et l’histoire des jardins, puis apprend le croquis de jardin. Autodidacte assoiffée de savoir, elle voyage en Angleterre, en Irlande et en Allemagne et s’imprègne des découvertes qu’elle y fait (essences, façonnement des paysages) ainsi qu’en France. Pour imaginer ses jardins, Valérie s’est notamment inspirée de ceux du prieuré d’Orsan et d’Ainay-le-Vieil.
Elle noue aussi des relations avec des pépiniéristes qui lui accordent leur confiance. « J’ai eu beaucoup de chance car je suis tombée à une époque charnière, un moment où plein d’anciens vendaient leurs pépinières. Ils me transmettaient leur savoir et m’aidaient à choisir des essences parfois rares afin de les installer dans les jardins de Poulaines. J’ai beaucoup appris grâce à eux », analyse Valérie qui écumait les fêtes des plantes aux prémices de ces manifestations.
Un jardin vraiment remarquable
En 2014, les jardins obtiennent le label « Jardin remarquable » et sont ouverts au public. Les buis du chevalier, taillés en nuage ou « niwaki » y côtoient les cèdres et les platanes centenaires. Le domaine de Poulaines, constitué de cinq hectares de jardins et d’un arboretum entourés de vingt hectares de bois, abrite aussi une biodiversité « jalousement préservée ». 300 espèces botaniques différentes y sont recensées, offrant une variété de couleurs et de parfums aux 5 500 visiteurs annuels.
« Le cours d’eau du Renon traverse le domaine et permettait l’acheminement des marchandises jusqu’au Cher. Ce n’était pas un château défensif mais un domaine vivrier, à vocation agricole et piscicole. Ici les seigneurs étaient proches des paysans, et la justice y était parfois rendue », indique Valérie Esnault qui a souhaité respecter la tradition agricole du domaine de Poulaines en y cultivant un potager et en y installant chevaux, poules, brebis et ruches. Dans son potager et son jardin bouquetier, elle met un point d’honneur à produire des légumes issus de graines du patrimoine légumier de la région Centre (navet blanc globe race Saint-Benoît, sucrine du Berry, haricots barangeonnier et comtesse de Chambord, céleri violet de Tours, citrouille de Touraine, chicorée frisée d’Olivet, laitue percheronne, melon sucrin de Tours).
L'inscription aux monuments historiques
Dans la continuité de la reconnaissance du site au niveau national, Valérie Esnault a désiré faire inscrire son domaine aux monuments historiques, un « statut juridique particulier destiné à le protéger pour son intérêt historique afin qu’il soit conservé, restauré et mis en valeur. […] Les monuments historiques font l’objet de dispositions particulières pour leur conservation afin que toutes les interventions d’entretien, de réparation, de restauration ou de modification puissent être effectuées en maintenant l’intérêt culturel qui a justifié leur protection » (source : https://www.culture.gouv.fr). Malheureusement, après un premier avis acquis émanant de la commission permanente, la poursuite de l’instruction du dossier se clôture par un refus de la demande d’inscription. Valérie Esnault fait part de son désarroi : « Après ce premier avis, des recherches complémentaires pour valoriser le domaine m’ont été demandées. Il s’agissait de déterminer de quelle façon le site pouvait être mis davantage en valeur, et de savoir si l’on élargissait l’inscription au domaine tout entier. » Perplexe, elle a fait appel de cette décision et attend aujourd’hui le résultat de sa demande.
Un site essentiel pour
l'économie locale
Une inscription aux monuments historiques permettrait d’inclure le domaine de Poulaines dans un nouveau circuit visant à découvrir le patrimoine local, donc d’extraire le site des contraintes de la saisonnalité. « En l’état, garder le label « Jardin remarquable » est trop lourd à cause des charges et des travaux que cela implique. L’inscription donne une valeur historique au domaine et diminue certaines charges. Une partie de l’assurance deviendrait déductible, ce qui permettrait de payer l’impôt foncier et de réinjecter des fonds dans le jardin. Je peux également faire appel, entre autres, au mécénat Airbnb qui représente presque 100% de nos réservations indirectes. […] Durant dix ans, j’ai accepté de travailler et de financer les travaux des jardins car je pensais que la reconnaissance historique viendrait. Tout a été autofinancé au détriment des travaux pour développer le domaine et l’activité qu’il génère », poursuit la propriétaire. Car le site est un acteur important de l’économie locale ; deux jardiniers sont employés à plein temps, un l’est à mi-temps, une aide saisonnière entretient le gîte et des apprentis et alternants y sont régulièrement accueillis. Des partenariats avec les artisans locaux ont également été développés ; la boutique du lieu propose des produits régionaux tels que les pièces en osier de Foutu Brin (Montgivray), les objets en cuir de BB cuir (Diors), les chapeaux de Florence Jousse Huaulmé (Châteauroux).
Parallèlement, Valérie Esnault a déposé un dossier auprès de la Mission Patrimoine confiée à Stéphane Bern, déployée par la Fondation du patrimoine et soutenue par le ministère de la Culture et la Française des Jeux, afin d’obtenir un accompagnement financier pour restaurer les parties dégradées du domaine. Cependant, l’inscription aux monuments historiques est essentielle pour appuyer son dossier.
« De mon côté, j’ai fini le travail
qui m’était demandé »
Valérie Esnault fait part de son incompréhension quant à cette situation qui l’enferme dans un insupportable statu quo : « Quelque chose est ouvert six mois de l’année à Poulaines et participe à l’attractivité du territoire. En étant aidée pour la restauration du commun Brettes, le jardin peut continuer son développement ». La propriétaire insiste également avec certitude sur l’intérêt historique du lieu : « J’ai accepté d’être, un temps, mécène et bénévole du domaine de Poulaines, de financer une étude en dendrochronologie, qui a daté l’ensemble des charpentes de la Renaissance, une étude historique qui a retrouvé pléthore de minutes notariales, de parchemins depuis le XIIe siècle. Ces recherches, demandées par la DRAC, permettaient de compléter le dossier et de finaliser l’inscription monument historique. C’est pour apporter au territoire, où j’avais choisi d’emménager définitivement, un lieu historique qui contribuerait à son rayonnement économique et touristique, que j’ai accepté de mettre des fonds dans des recherches plutôt que dans la restauration des toits et des bâtis. De mon côté, j’ai fini le travail qui m’était demandé… », écrivait-elle sur sa page Facebook en mai dernier.
Un attachement viscéral
au domaine de Poulaines
Seule porte de sortie pour la propriétaire si l’inscription aux monuments historiques est de nouveau refusée : la fermeture complète des lieux au public (sauf quarante jours par an pour conserver le label « Jardin remarquable ») afin d’organiser des réceptions et séminaires privés, et le développement d’un concept exclusif haut de gamme. Car les seules visites du jardin et les locations aléatoires des deux gîtes ne suffisent plus pour équilibrer les comptes. Aussi, la courageuse gestionnaire du domaine compte bien protéger son site : « Basculer vers un hôtel et un lieu de réception et fermer au public serait dommage… il y a des arbres magnifiques, des bâtis très anciens, des étangs de la Renaissance, des jardins et un arboretum contemporain… Cette seigneurie est à l’origine de l’église, depuis la nuit des temps ce lieu est lié au village. Les propriétaires se sont investis chaque fois. Je n’ai pas envie d’abandonner ce lieu, je veux garder cette maison de famille qui respire les retrouvailles. J’ai un attachement viscéral pour les bâtiments et les terres, jamais je ne me séparerai de cette maison ! », affirme une Valérie Esnault presque habitée, affichant une infrangible détermination malgré les difficultés.
Une pugnacité à toute épreuve
La propriétaire est sur tous les fronts et assure aussi l’accueil des curieux, leur sert un thé ou une part de cake maison s’ils le souhaitent. Les compliments concernant la gestion du domaine, les travaux réalisés ou la recherche des essences plantées pleuvent à la moindre visite. C’est sans doute en partie pour cette raison que Valérie Esnault continue de se démener. Elle s’est aussi engagée dans diverses associations : la Route des Iris, les Châteaux et jardins d’exception de la Loire, les Jardins en région Centre-Val de Loire… Enfin, sa propriété a reçu une étoile dans le guide Michelin des Châteaux de la Loire et dans celui du Berry-Limousin et est présente dans le guide Michelin des 180 jardins d’exception à découvrir.
Étonnement, les embûches rencontrées et les revers n’ont pas dégoûté Valérie Esnault de s’investir et se donner corps et âme pour son projet : « Je suis très heureuse de ce que j’ai fait pendant dix ans, je ne regrette rien. Aujourd’hui, c’est un devoir moral que de continuer à faire vivre le domaine, c’est comme un héritage. Mon père s’est fait tout seul, son propre père est mort à la guerre lorsqu’il avait six ans. Je dois réussir moi-même, et je pense avoir réussi quelque chose car les visiteurs sont contents, j’ai transformé un héritage parental en un héritage patrimonial. Mais après avoir porté le développement du domaine seule pendant dix ans, j’ai désormais besoin d’être accompagnée, que l’on m’aide à garder le jardin ouvert autour d’un projet culturel, économique et touristique », conclut-elle.
Des trésors encore cachés
Après trois décennies consacrées à la réhabilitation du domaine de Poulaines, Valérie Esnault, qui « n’en veu[t] à personne », attend désormais une juste reconnaissance et une validation de l’historicité de son bien de la part de l’État pour permettre au site de se faire une place de choix parmi les lieux incontournables de la région. L’inscription aux monuments historiques accorderait un appui solide pour poursuivre la restauration des bâtis afin de les ouvrir aux visiteurs, car le colombier, comme les caves et les communs auraient encore à offrir de riches trésors au public s’ils étaient rénovés et rendus accessibles…■
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