rencontre

Brigitte Pénicaud,
céramiste affranchie

Née dans le XVe arrondissement de Paris, Brigitte Pénicaud a grandi à Versailles avant de laisser derrière elle son milieu d’origine et un chemin tout tracé. Une fibre politique éveillée dès l’adolescence l’a alors menée vers une voie manuelle puis à s’installer dans le Berry. Portrait d’une affranchie qui a fait sauter toutes les digues pour se trouver.

Quand Brigitte Pénicaud fouille dans sa mémoire pour livrer ses souvenirs, c’est le visage tourné vers sa campagne prissacoise qu’elle remonte le fil de sa vie. Son regard se perd dans les champs qui entourent son atelier d’artiste pendant que son esprit passe en revue les étapes décisives de son parcours. Déterminée, solide, courageuse, la céramiste ne regrette aucun de ses choix.

La terre, elle en parle comme d’une personne pour qui elle aurait eu un coup de foudre. Et pour cause. « J’ai rencontré la terre à 17 ans, je suis tombée dedans. J’ai voulu la lâcher deux fois mais elle ne m’a jamais lâchée. J’ai travaillé en cuisine mais mon cerveau était ailleurs, je pensais à elle », raconte-t-elle. Rien ne la prédestinait pourtant à la fulgurance de cette rencontre.

Éveil politique et poterie

D’extraction bourgeoise, Brigitte Pénicaud est d’abord passée par un bouleversement politique avant de trouver sa voie professionnelle. « 1968 y est pour beaucoup. Ça m’a donné une conscience politique de ce que je ne voulais pas. Le refus des conventions, de la bourgeoisie, le besoin des choses vraies, de la campagne… Donc je suis partie. »

Autodidacte, elle atterrit à Saint-Amand-en-Puisaye puis travaille comme tourneur chez un potier pendant deux ans. « J’y ai rencontré la vieille céramique de Puisaye qui a beaucoup de parenté avec la céramique coréenne, j’en suis tombée amoureuse. […] J’ai cuit au bois, reproduit des pièces, fait de l’utilitaire. L’utilitaire a une vraie puissance, il est tellement fonctionnel que la forme est belle, essentielle. »

En 1974, elle s’installe dans l’ancienne tuilerie du Rollet à Chaillac et y aménage son atelier avec son conjoint. En 1982, c’est à Prissac qu’elle acquiert une ferme abandonnée depuis quinze ans, qu’elle rénove en en respectant l’authenticité, à travers la préservation des tomettes en terre cuite, des poutres et des pierres apparentes notamment.

Du côté de la politique, Brigitte Pénicaud n’a jamais cessé de s’engager et de défendre ses positions. Présente sur presque tous les fronts, elle s’est investie aussi bien aux côtés des Gilets jaunes qu’au sein du Comité de défense de la gare SNCF d’Argenton-sur-Creuse. Inquiète de voir son environnement se dégrader, la prolifération des éoliennes et des méga-bassines la crispent et la poussent encore à se mobiliser sur le terrain.

Mental d’acier, tempérament de feu

Âgée de 68 ans, Brigitte Pénicaud continue de déployer une mâle hardiesse pour sortir de terre ses vases, pichets, tasses, assiettes et sculptures. La rudesse de son geste impressionne, et les conditions de travail qu’elle s’impose forcent le respect. « La façon dont je pratique la céramique, c’est très physique. C’est un beau métier mais tu ne peux pas faire ça si tu n’es pas passionné, c’est trop dur. Ce qui m’intéresse, c’est la prise de risque, l’inconfort. Je suis toujours sur la corde raide, ça fait des pièces très belles ou alors des grosses merdes », déroule-t-elle.

Quand « la saison atelier » arrive, la céramiste autodidacte travaille sur ses créations pour les modeler puis les émailler. Elle fabrique ses propres couleurs et recueille des cendres végétales : le bouleau pour son « rose sublime », le foin pour les blancs, le pommier pour le bleu. Elle met un point d’honneur à cuire dans un four à bois qu’elle a elle-même fabriqué avec des amis et explique ce choix rare, difficile et exigeant : « Je trouve que c’est la vie que tu ressens sur les pièces. Le fait que les flammes passent à travers les pots qui sont dans le four, il y a des atmosphères différentes, ce qui se donne sur l’émail, c’est vivant, très sensuel. Devant, la flamme n’est pas pareille que derrière. Il faut qu’il y ait de la vie, que ça bouge. Le jour où je n’arrive plus à cuire au bois, j’arrête. C’est une prise de risque que j’adore, qui te fait des cadeaux, ou pas ! […] Il faut placer précisément les pièces selon l’émail, ses réactions. Par endroits il y a 1 340 °C, à d’autres 1 250 °C. »

Une à deux fois par an, elle enfourne ses pièces dans ce volume de 9 m³ divisé en trois chambres. Après trois semaines consacrées à cette tâche, elle remonte des murs en briques pour fermer le four. Aidée par d’autres amoureux de la cuisson, Brigitte veille alors une trentaine d’heures pour alimenter le feu. À ces deux jours éprouvants succèdent deux jours de refroidissement. Rien n’entame la détermination de la céramiste qui travaille ainsi dans un environnement avoisinant les 70 °C. Tributaire des conditions météorologiques, les intempéries lui ont parfois offert de belles surprises. « Une fois, j’ai cuit un jour de tempête, c’était fabuleux, tellement improbable. Les flammes sortaient de l’alandier. À la sortie, l’émail était transversal. Les pièces sont vite parties, les connaisseurs n’avaient jamais vu ça, ils me demandaient ce qui s’était passé. […] Je contrôle la forme, le décor, l’émail. Mes choix, ça m’appartient. Mais c’est le four qui a le dernier mot. »

Préciosité du biotope

Le reste de l’année, Brigitte Pénicaud préserve du temps pour soigner son cadre de vie : « Ici c’est beaucoup de boulot. Il y a des animaux, une serre, le jardin, un potager. Je veux aussi avoir du temps pour m’occuper de mes fleurs, c’est important que mon environnement soit beau. […] Quand je suis partie au Mexique, j’ai tourné en rond pendant quinze jours à l’atelier là-bas, je me suis imprégnée de mon environnement. Et puis j’ai fini par sortir des pièces qui ne ressemblaient en rien à ce que je faisais. […] Je suis réceptive à ce qui m’entoure, j’ai besoin que ce soit en harmonie, je suis attentive à tout. » Aussi Brigitte a-t-elle fait construire une extension à son atelier il y a quelques années, laissant passer une douce lumière sur ses pièces crues et lui permettant d’admirer les changements de couleurs de la nature tout au long de la journée. Tout l’inspire, l’émeut, et la pousse à créer pour témoigner des spectacles auxquels elle assiste quotidiennement. Une étagère de l’atelier accueille d’ailleurs crânes de ragondins, cadavres séchés de souris, lézard, salamandre, papillon ou encore lucane cerf-volant.

Ses pièces décoratives et sa vaisselle arborent des teintes tantôt douces, tantôt flamboyantes et rappellent souvent l’art pariétal. Partant de formes traditionnelles, l’artiste s’affranchit du parfait et n’hésite pas à « déformer, cabosser », à la recherche de l’expression constante de sa propre liberté.

Accueil et partage

Brigitte Pénicaud accueille en ce moment une stagiaire qui travaille avec elle à l’atelier et produit ses propres séries. Après avoir dispensé gracieusement ses conseils à une cinquantaine d’apprentis, la céramiste reconnaît le caractère cardinal de la circulation du savoir : « C’est important de transmettre. J’ai mis quarante ans pour développer un chemin très personnel. J’y aurais peut-être passé moins de temps en allant dans une école d’art, mais ça aurait été différent. […] Je veux donner de la liberté dans la création des pièces. Parmi les stagiaires, il y a des gens coincés qui viennent des écoles, ils viennent ici chercher la liberté. Ils sont complètement formatés, n’arrivent pas à s’en sortir. Ça leur prend du temps pour y arriver. […] Les jeunes cherchent à rencontrer un métier, un coup de main. Ils ont besoin de toucher la terre, de découvrir un monde qu’ils ne connaissent pas. […] Certains en ont fait leur métier. Ça fait de belles rencontres, c’est un moyen d’accéder aux gens car je suis très isolée ici. »

Et le maître ne craint pas l’imitation de quelques uns de ses disciples. « Certains ont leur propre style, et il y en a qui m’aiment trop, qui trouvent ça dur d’en sortir. Je leur dis que ce n’est pas grave, quand ils m’auront bouffée complètement, ils trouveront leur propre chemin. Je m’adapte, j’essaie de les emmener là où ils ont envie d’aller, de les accompagner là-dedans. Je leur apprends les techniques. […] Au Japon, on a un maître pour apprendre pendant X années jusqu’à réussir à faire exactement comme lui. Une fois que c’est acquis, on est apte à trouver sa propre expression, et là, le chemin est immense. »

Entre expositions et confidentialité

Situés dans le hameau Les Places à Prissac, l’atelier et la salle d’exposition de Brigitte Pénicaud sont ouverts au public sur demande mais la céramiste préfère ne pas attirer les visiteurs depuis la route. « Les visiteurs du dimanche, ceux qui veulent aller voir la potière, c’est non. Mais les gens qui me trouvent m’ont cherchée, ils ne sont pas là par hasard, et je peux prendre du temps pour eux, pour les recevoir », nuance-t-elle. L’artiste a à cœur de défendre le local, aussi prend-elle plaisir à rencontrer son public lors d’expositions comme celles qui ont eu lieu à Saint-Benoît-du-Sault, à la chapelle Saint-Benoît d’Argenton-sur-Creuse et au Centre céramique contemporaine de La Borne à Henrichemont. Certaines de ses créations sont également présentes dans plusieurs collections de musées en France, en Allemagne, en Belgique, en Suisse et au Portugal. Aujourd’hui, c’est pour une exposition en Suisse que l’artiste prépare de nouvelles pièces.

Un amour intact

Toute une vie de travail ont laissé pure et inaltérée la passion de la terre et du métier. « Quelle vie j’ai eue ! À faire ce que j’ai voulu, sans faire de concessions. Je n’ai jamais accepté une commande à la con. Tu le paies cher… mais c’est le prix de la liberté. On a toujours la tête dans la création, les choses que tu vois, que tu ressens… C’est un beau métier. Tu es toujours en train de t’imprégner. Les couleurs d’ici par exemple, les ciels, les branches, les mares, les grenouilles… », détaille Brigitte Pénicaud avec satisfaction.

Lorsque la rudesse de son métier deviendra insurmontable, la céramiste songe à s’aventurer sur le terrain de la peinture. Plutôt que de cuire autrement et d’abandonner son idéal de création, elle préfère attaquer une discipline différente. De quoi offrir à celle qui a toujours refusé la moindre compromission une digne continuité artistique. 

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